Le monde de la musculation, du bodybuilding, littéralement de la fabrication d’un corps esthétique, est vaste.

Je vais me concentrer sur le caractère psychologique et sociologique de la pratique, soit les dérives addictives et pathologiques qui peuvent en ressortir.

Addiction

Chaque séance intense de sport évite déjà de trop penser.
Lorsqu’on est focalisé sur ses gains, sur l’effort, on n’a pas le temps de ruminer. Ajoutez à la focalisation le taux d’endorphines que libèrent une séance intense et vous obtenez un cocktail antidépresseur efficace. Mais comme tous les antidépresseurs, ce cocktail doit être répété pour masquer la cause initiale de la dépression, pour éviter qu’elle ne revienne. L’endorphine est une drogue, qui procure un bien être intense que le cerveau va chercher à reproduire. On devient ainsi addict à l’exercice qui a procuré cette sensation.
C’est pour moi la première cause de dépendance au sport. Elle est positive quand elle est appréciée à sa valeur d’apport de bien-être (comme toutes les activités à risque de dépendance qui procurent une satisfaction plus ou moins immédiate: alcool, sexe, drogue, sensations fortes..) Elle devient problématique lorsqu’elle cache un mal être profond que l’on s’efforce d’enfouir.

Bouclier

Avoir un corps fort et musclé, dépasser ses limites, soulever et pousser toujours plus lourd, arriver à terminer un entraînement intense de cross training, courir plus longtemps et plus loin, permet de gagner de l’estime de soi. C’est tout à fait logique et sain, c’est un bon moyen de développer ses capacités et sa confiance en soi. A condition d’avoir un but, des objectifs fixes et de ne pas souffrir de trouble d’appréciation de soi: anorexie, bigorexie, dysmorphophobie, entre autres.
Lorsque la vision de soi même est eronnée, on ne parvient pas à obtenir satisfaction de ses résultats, et c’est là que le trouble apparaît: ce mal être profond , cette blessure narcissique que l’on parvenait à cacher au début ressort de cette façon, en n’autorisant pas le regard sur soi à être enfin positif. Cela entraîne une spirale infinie de recherche de satisfaction qui n’est jamais atteinte puisque ce n’est pas celle-ci que l’inconscient recherche..

Pour moi, c’est un message qui indique: » ce n’est pas de cette satisfaction là dont j’ai réellement besoin. » comme son nom l’indique, le « monde » de la musculation est une maquette du monde extérieur, avec ses interactions sociales, psychologiques et matérielles. Dépasser ses limites, construire une image de soi à la salle est un peu un jeu de rôle que l’on crée pour pallier à ses manques dans la vie sociale, familiale, affective…

Mais si le fond de la recherche est une estime de soi solide intérieure, un dépassement de ses peurs, une recherche de force mentale, interne, émotionnelle, la musculature et l’endurance physiques ne satisferont pas le mental.
En plus concis, se construire un bouclier physique pour affronter le monde extérieur n’est pas satisfaisant si l’on reste fragile à l’intérieur. Et c’est pour moi l’explication de la bigorexie: on se voit dans le miroir fragile, faible, alors que le physique est bel et bien musclé, fort, parfois impressionnant.
C’est à ce stade là, et pour ma part ce fut suffisamment tôt (au bout de 7-8 mois de musculation) que j’ai eu ce déclic. De par mon métier de thérapeute et mon suivi analytique régulier, j’ai pu en prendre conscience.
Mais ce n’est pas le cas de tous, beaucoup de sportifs dans la musculation n’ont aucun suivi médical ou psychologique, et quand bien même, il est difficile pour les médecins de déceler un problème chez quelqu’un qui ne demande pas d’aide et qui d’extérieur a un mode de vie sain, avec ce qu’implique la musculation, c’est à dire une alimentation, un sommeil et une hygiène de vie souvent irréprochables.
Ce qui indique à mes yeux de thérapeute un risque de décompensation, sur un choc émotionnel, par exemple.
Une construction d’une vie rigide, chronométrée et mesurée où il n’y a pas ou peu de place pour le plaisir, social, alimentaire, environnemental.

Estime de soi

Comment alors sortir de cette spirale? Comment sortir de ce schéma, parfois ancré depuis des années?
Si le mal être est trop intense, que l’entraînement et l’alimentation tournent à l’obsession, et que son reflet dans le miroir n’est jamais satisfaisant, il faut agir. Les thérapeutes sont là pour soutenir et chercher avec vous la cause intiale de ce mal être et renforcer l’estime de soi intérieur, « muscler » son amour propre, sa confiance en soi, qui est un travail différent de la musculation de l’enveloppe corporelle. Une addiction est destructrice, et celle du sport se voit bien moins de l’extérieur qu’une addiction à l’alcool ou aux drogues par exemple, mais elle est synonyme de souffrance, et la souffrance doit être prise en charge. Si vous vous sentez concernés, n’hésitez pas à faire la démarche d’en parler. Vous pouvez bien sûr me contacter pour en parler ensemble.

J’espère avoir été suffisamment claire dans cet article qui m’a demandé beaucoup d’entraînement mental !

voir aussi: complexe d’Adonis